Du yoga du rire en prison : une bouffée d'humanité et de liberté

Il y a quelques jours, j'ai eu une expérience inédite :

animer une session de yoga du rire en prison.

Les murs gris et les grilles de sécurité semblent peu propices à l’épanouissement de la joie et du rire. Un environnement où l'on n'attend pas forcément de trouver des éclats de rire, et pourtant, c'est précisément là que la magie a opéré.

Suite à une demande de Marie Hélène Duvivier, conseillère morale en prison pour la Fondation pour l'assistance morale aux détenus, des rendez-vous sont prévus à Namur, Andenne et Huy.

 

Luis Gomez, animateur de yoga du rire dans les prisons mexicaines depuis plus de 10 ans, m’a briefée lors d’une rencontre en visioconférence. Je le remercie pour ce temps passé ensemble.



Mardi 18 Juin

Le matin, le stress est là, avec des tensions dans tout le corps, et la peur de l’inconnu ainsi que de ne pas arriver à embarquer les détenus dans les rires sans raison. Heureusement, j’anime aussi un yoga du rire à l’ALE de Namur. La magie des rires sans raison opère et la détente s'installe.

En entrant dans l'enceinte de la prison d’arrêt de Namur, je ressens tout de même une certaine appréhension. Il faut donner sa carte d’identité, passer par des portiques de détection de métaux, et traverser différentes portes et couloirs.

Marie Hélène se sent également anxieuse : le message de cette activité décalée est-il bien passé ? Combien de détenus seront présents ?
Son collègue Benoît est plutôt détendu et curieux de la suite.

Nous attendons dans la salle prévue pour notre séance de yoga du rire. Six détenus arrivent et s’installent. Luis m’avait conseillé de me focaliser directement sur le meneur du groupe, mais ici, il n’y a pas véritablement de meneur.

Marie-Hélène introduit la réunion par un partage d'informations sur l’humanisme et la laïcité, sous forme de questions -réponses.


Puis un rapide tour de parole nous indique comment ils se sentent : angoissé, stressé, seul, curieux.
Je commence par expliquer un petit bout de mon histoire et des principes du rire sans raison : comment le rire, même simulé, peut apporter des bienfaits considérables pour le corps et l'esprit. Nous débutons avec des exercices simples pour lâcher les tensions du corps et de l’esprit. Au début, les rires sont hésitants, mais peu à peu, la magie du yoga du rire opère. Luis Gomez m'avait conseillé d'éviter le rire de la tarte à la crème, mais j'ai senti que ce groupe réagirait positivement, et effectivement, nous avons ri en mimant des échanges de tartes avec succès. Les rires forcés se transforment en rires spontanés et sincères.

La méditation du rire permet de partager des éclats de rire francs et contagieux. La visualisation de l’arbre et l’ancrage de nos racines dans la terre leur permettent de retrouver le calme.

 

Vient le partage des ressentis : fini les douleurs, des articulations récalcitrantes se sont même dénouées.

Leurs retours m’ont profondément touchée : bonheur, plaisir, joie, cadeau, sentiment d’être en dehors de la prison, confiance.


Mercredi 19 Juin

Yoga du rire en prison
Yoga du rire en prison (photo canva)

Direction la prison d’Andenne, une plus grande institution accueillant environ 400 détenus purgeant de  longues peines. Contrairement à la première visite, je me sens plus à l’aise, ayant déjà traversé les procédures de sécurité.

Ici, pas besoin de traverser toute la prison, l’atelier se déroule dans la salle des visites, ce qui simplifie la logistique. Avec Marie-Hélène et Benoît, nous préparons l’espace en disposant 20 chaises en cercle. Derrière une grosse porte, des voix graves résonnent, ajoutant à l’atmosphère imposante du lieu.
Les détenus arrivent en groupe. Ils sont finalement 23, ce qui nous oblige à ajouter quelques chaises. Chacun me salue avec une poignée de main ferme, une introduction qui montre leur ouverture malgré les circonstances. Je repère immédiatement le meneur du groupe, sachant qu'il est crucial de lui laisser une place pour que l’atelier se déroule sans heurts.


Après l'introduction de Marie-Hélène sur l’humanisme, je commence par inviter les participants à se concentrer sur leurs sensations physiques et émotionnelles, une manière douce d'entrer dans l'activité. Après un bref mot d’introduction, nous nous lançons dans la séance. Le meneur prend rapidement l'initiative de proposer un exercice, ce qui aide à briser la glace. Une fois la barrière de la méfiance tombée, la plupart des détenus se laissent aller, testant les rires forcés et partageant des regards complices.  Certains restent en retrait et observent le sourire aux lèvres.

Contrairement à la séance précédente, je choisis de ne pas inclure l'exercice du rire de la tarte à la crème. Je ressens qu'ils ont besoin de plus d'exercices pour évacuer les tensions. Bien que je me sente parfois à court d’idées parmi la liste d'exercices préparés , la magie du rire finit par opérer. Pour la méditation du rire, j’opte pour un face-à-face avec chacun, ce qui permet de faire ressortir des rires authentiques.

À la fin de la session, j’introduis l’exercice d’ancrage de l’arbre. L'énergie qui se dégage dans la salle est palpable, une véritable libération et un sentiment de bien-être. Ceux qui le souhaitent partagent leurs ressentis : détente, calme, esprit vidé, joie.

Les mots sont les mêmes quels que soient les lieux.

 

Les détenus me remercient en formant des cœurs avec leurs mains, et une ola retentit en signe d'appréciation. L’avant/après est évident, et je suis satisfaite d’avoir accompli ma mission.


Après la séance, plusieurs détenus viennent me voir. Leurs visages sont illuminés de sourires sincères. Ils me remercient chaleureusement, échangent quelques mots avec moi et veulent savoir quand je reviendrai. Cette interaction renforce encore ma conviction du pouvoir transformateur du yoga du rire, même dans des environnements aussi rigides.


Lundi 24 juin

Je me suis rendu à la prison de Huy, un établissement d'arrêt et de détention accueillant 75 détenus. Dès mon arrivée, j'ai été chaleureusement accueillie par le personnel pénitentiaire, un goûter a même été organisé.

Nous étions un groupe de 14 personnes : 12 détenus, Marie-Hélène et moi.

Comme dans les deux établissements précédents, une introduction sous forme d'échanges ouvre l'animation.


Cette fois-ci, il y a aussi un meneur atypique, dont le rire contagieux ferait l'envie de nombreux clubs de rire.
Au départ, un puis deux détenus se tinrent à l'écart, mais même eux auront leur moment de rire. Pendant l’exercice d’ancrage de l’arbre, ils furent pris d’un fou rire libérateur.

Pour cette session, j'ai ajusté mon approche en ajoutant des exercices supplémentaires pour relâcher les tensions.  La médiation du rire est devenue un mélange de rires spontanés partagés et de moments de connexion individuelle.

Les applaudissements et les réactions des participants ont été unanimes : détente, liberté, joie.


Le personnel pénitentiaire, curieux des effets de cette expérience, a exprimé sa satisfaction. Un agent pénitentiaire m'a confié combien cette activité était importante et  avait permis un moment de détente et de bien-être bienvenu pour les détenus, une bouffée d'air dans leur quotidien marqué par la contrainte.


Et moi dans tout ça?

Cette expérience m'a profondément marquée. Elle m'a rappelé que le rire est un langage universel, capable de transcender les barrières les plus solides. En prison, le yoga du rire a démontré sa puissance : celle de libérer les esprits, d'apporter un peu de lumière et d'humanité, même dans les endroits les plus sombres. J’ai vu des hommes retrouver, l'espace d'un instant, une part de leur liberté intérieure, et pour cela, je suis infiniment reconnaissante.

Je comprends pourquoi Luis propose des ateliers de yoga du rire par cycle de 21 jours.
Lorsque l’on rit, on sécrète quatre types d’hormones : Dopamine (l'hormone du bonheur, Ocytocine (hormone du lien social), Sérotonine  (hormone qui régule l'humeur et contribue à la sensation de bien-être) et Endorphine (hormone qui favorise la détente).
C'est l'équilibre "dopamine/sérotonine" qui permet la stabilité de l'humeur. Ces différentes hormones agissent comme antistress.


Après 21 jours, Luis a lui-même constaté que la violence diminuait et que le comportement des détenus, tant entre eux qu'envers le personnel pénitentiaire, était plus serein.


À quand un tel programme dans nos prisons ?


Dans les murs de la prison, le yoga du rire fait éclore l'humanité et libère l'esprit.


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Commentaires: 1
  • #1

    Marie-Hélène Duvivier (lundi, 01 juillet 2024 12:16)

    Une expérience humaine d'une grande richesse, merci Isabelle, ton savoir-faire et ton savoir-être ont créé la surprise, une découverte accueillie très favorablement par la quasi totalité des participants, qui s'y sont prêtés à coeur joie. Très heureuse de cette collaboration entre les murs et qui sait, à une prochaine ?